9-12-2002 - Aux Amis de la Convention
M.Jacques Delors était l'invité du bureau de Paris de l'Union
Européenne, au cercle des "Amis de la Convention". D.Indjoudjian,
vice-président d'X-Europe et membre des Amis, lui a posé, par écrit et
oralement, la question suivante:
" Monsieur Delors, vous
avez dit le 6 Juillet dernier au Mouvement Européen: "Pour
aller plus loin, il y a l’Ukraine, il y a les pays d’Afrique du Nord et de
la Méditerranée. Il faut que nous repensions à un nouveau statut
d’association. Nous avons gâché le statut d’association en le
transformant en simple zone de libre-échange. Comme si, inspirés par la pensée
unique, qui d’ailleurs fait encore beaucoup de ravages à Bruxelles, le fait
d’avoir une zone de libre-échange conduirait à une véritable association.
Non : parfois la zone de libre échange est utile, parfois elle est perverse.
Il faut réfléchir à ce que peut être une association,sinon l’Union européenne
se conduira comme un honnête courtier en train de vendre sa zone de libre-échange
à tout le monde. ... savons-nous faire les concessions qui cimentent la
coopération et la fructueuse entente, et qui les aideraient, tout en donnant
une meilleure image de l'Union Européenne ?"
Aujourd'hui, c'est
justement ce sujet-là qui occupe le devant de la scène avec la question
turque.
Pouvez-vous
nous préciser ce que vous estimez être les caractéristiques de ce nouveau
statut d'association ?
En quoi doit-il et peut-il différer des caractéristiques du Marché Commun
d'avant Maastricht, qui ont eu un si magnifique succès auprès des
investisseurs ?".
Comme on le voit dans le compte-rendu officiel ci-dessous, M.Delors
ne nous a pas donné
de réponse.
Intervention de M. Jacques Delors
Le Président
Delors a introduit son intervention sur un constat d'optimisme. Pour lui,
il existe trois raisons de se réjouir des avancées de la
construction européenne:
-
d'une part le succès de l'UEM. Treize ans après la remise
du rapport portant son nom sur l'UEM, l'euro est dans la poche des citoyens
européens.
-
d'autre part la Convention sur l'avenir de l'Europe: pour J. Delors, la
Convention est un moyen de répondre efficacement à l'échec
des conférences intergouvernementales d'Amsterdam et de Nice. Le
consensus (et non l'unanimité) permet de débloquer la situation,
en dépit de questions en suspens au sein de la Convention, comme
la place de la Charte des droits fondamentaux, la présidence de
l'Union ou le Congrès européen.
-
enfin l'élargissement. Le président Delors a regretté
l'absence de mobilisation des Français sur ce thème alors
que l'UE s'apprête à accueillir quelque 10 États membres
en 2004. Il a déploré qu'aucune célébration
ne soit organisée pour fêter l'entrée des pays
candidats dans l'UE.,
J. Delors est ensuite revenu sur les exigences européennes
de l'Europe élargie. Appelant à "inventer la simplicité",
il a souligné quatre points majeurs :
- la clarté des finalités de l'Union européenne:
le projet européen est préalable à toute réflexion
institutionnelle. Il s'agit d'abord de penser les finalités de l'Europe,
la réforme institutionnelle étant au service du projet européen.
Dans une Europe à 25, puis 27, les trois grands objectifs que l'on
doit assigner à l'Europe élargie sont : la paix, le développement
durable et la préservation des identités.
-
l'éloge de la différenciation: celle-ci doit s'appliquer
lors de la mise en oeuvre du projet européen; elle repose sur le
réalisme. "Différenciation", "coopération renforcée",
'avant-garde" ... permettraient de répondre aux nouveaux défis
de l'Europe élargie. Mais cette différenciation n'est pas
nouvelle si l'on considère l'histoire européenne comme
en témoignent l'euro, Schengen ou le protocole social.
-
la fédération d'États-nations: le président
de Notre Europe est revenu sur l'ambiguïté de la formule, rappelant
qu'elle était le seul moyen de projeter ensemble la méthode
intergouvernementale et la méthode communautaire sur le système
européen, tout en préservant les nations européennes.
Pour J. Delors, la fédération d'États nations permet
de conserver le principe de subsidiarité, c'est-à-dire la
croyance que tout ce que l'humanité peut faire au plus près
des citoyens, doit être fait. Il s'est montré favorable à
ce que les politiques sociale, de la santé et de l'éducation
demeurent de la compétence des États, afin de maintenir ce
qui constitue une partie de la cohésion nationale. Lorsque l'Europe
agit, elle doit se demander au nom de quoi elle le fait et quelle
est la valeur ajoutée de son intervention.
-
l'aménagement de la méthode communautaire: rejetant aussi
bien la formule "ABC" (président de l'UE désigné par
le Conseil européen et doté d'une administration forte),
que la formule Lequiller d'un président unique et la possibilité
de nommer le président de la Commission comme seul président
de l'UE, J. Delors s'est demandé si on ne pouvait pas imaginer
une présidence tournante. Celle-ci serait constituée d'une
équipe présidentielle et plurinationale qui permettrait aux
grands pays de présider tous les trois ans. Le Conseil européen
devrait se réunir deux fois par an, la sagesse consistant à
assurer une continuité des travaux grâce au couple "Commission
- Conseil Affaires générales" et à la définition
d'un agenda politique clair et efficace.
Le débat avec la salle a porté sur les points suivants:
-
la communication de la Commission: le président s'est déclaré
favorable à la création d'un statut spécial pour le
Haut-représentant pour la PESC, sans toutefois revendiquer un droit
d'initiative exclusif pour la Commission en matière de PESC. Pour
lui, la Commission n'a pas les moyens d'assurer sa propre diplomatie.
-
sur l'UEM, le président Delors a revendiqué la nécessité
de trouver un compromis entre union monétaire et union économique.
Il s'est montré favorable aux revendications de la Commission européenne
en matière économique. Sur les questions sociales, les gouvernements
doivent rester maîtres de leurs décisions; il serait toutefois
bienvenu de renforcer le dialogue social et les politiques structurelles
de l'UE, d'instaurer des principes pour défendre la dignité
et l'intégrité des travailleurs et de créer des minimas
dans certains domaines.
-
sur la structure de la Commission: l'idée est de maintenir un Commissaire
par État membre, à condition d'accepter le principe d'une
Commission "à deux étages", avec un président fort,
soutenu par les deux principaux groupes politiques du Parlement européen.
Rien n'empêche le Parlement de désigner deux ou trois personnalités
de marque dans la perspective d'une désignation à la Commission
européenne.
-
sur l'adhésion de la Turquie: le respect des critères de
Copenhague est un critère essentiel; il n'en reste pas moins que
le refus des Quinze constituerait une erreur politique majeure pour l'UE.
L'enjeu est de définir de nouveaux types de partenariats avec les
pays de l'Est, de la Méditerranée, de l'Amérique latine
et d'Afrique.
enfin, J. Delors s'est dit favorable à l'inscription dans les traités
d'une "clause de divorce". Pour terminer, il s'est interrogé sur
les conséquences de la non-ratification de la future Constitution
par l'un des États membres de l'UE (quel serait alors son statut?)
et sur l'éventuelle association des pays candidats à la prochaine
CIG de 2003.